Apprendre, c’est entrer dans ce qui vous précède

Compte rendu de l’intervention de Marcel Gauchet au Congrès de l’enseignement catholique belge" En avant l'école".

Louvain-la-Neuve, 11 octobre 2002

Deux questions ont particulièrement retenu l’attention de Marcel Gauchet : Comment penser une école à la fois juste et efficace ? Comment un enseignement catholique peut-il assumer sa mission de service public pluraliste ? Compte rendu.

La réussite pour tous ! C’est-à-dire tirer le meilleur de tous les élèves... et assurer une égalité de traitement: plus facile à dire qu’à faire. En réalité, la tension est forte entre ces deux objectifs. Pourtant, jamais la demande d’enseignement n’a été aussi forte. La réussite scolaire est, du côté des parents, une véritable obsession .Comment en est-on arrivés là ?

Deux objectifs en chiens de faïence

“Socialement parlant, on est de moins en moins l’enfant de ses parents, affirme M. Gauchet. La transmission familiale des fonctions et statuts se raréfie.” Fini en effet, le temps où l’on était fermier ou commerçant de père en fils. Il faut désormais acquérir un bagage scolaire. Mais d’autre part, si l’on met au centre l’individu, il apparaît désormais injustifiable que certains enfants soient marginalisés, abandonnés à leur sort. D’où la requête simultanée d’équité... et d’efficacité.

Pour répondre à cette double requête, l’hétérogénéité de publics est présentée comme une solution désirable parmi d’autres. Cependant, souligne M Gauchet, équité et efficacité sont difficiles à concilier. Parfois même, le premier objectif finit par se retourner contre le second... Il s’agit donc de réfléchir un ajustement délicat.

L’Église pour mémoire

Autre tension que doit résoudre l’école catholique: celle entre son identité et la pluralité des convictions qu’elle accueille. “La tolérance, ce n’est pas se résigner à l’existence de l’autre, précise M. Gauchet. C’est penser avec et en fonction de lui, au-delà de sa différence, saisir du dedans le sens de son expérience.” Aucune dilution de sa propre identité, donc, mais au contraire un dialogue pluraliste actif, “véritable avancée dans l’expérience démocratique, même si elle est déstabilisante et source d’interrogation pour certains.” En ce sens, le philosophe voit dans la sécularisation présente une chance pour l’avenir de la religion et de l’Église : “Elle est la plus vaste institution de mémoire de l’Europe”, insiste-t-il, soulignant combien l’histoire et la culture européennes sont incompréhensibles si on en ignore les racines chrétiennes.

Humain par culture

Autre élément pour une alliance virtuelle entre croyants et laïques: la requête d’humanisme chez les uns et les autres. Pour M. Gauchet, l’humanisme, c’est cette conviction que l’être humain est appelé à quitter sa condition “naturelle” pour entrer dans une culture. L’éducation n’a alors de sens que si elle ouvre à un travail sur soi en vue d’une dignité plus haute. À l’encontre d’un développement personnel clos sur lui-même, d’une recherche de pure authenticité qui mène à des impasses, un enseignement vraiment humaniste invite l’enfant à entrer dans un monde déjà là, à y trouver sa place et par là, à conquérir sa propre liberté. Croyants et laïques gagnent à converger vers cet horizon. Désormais, affirme M. Gauchet, une foi qui récuse l’agnosticisme ou un athéisme qui récuse la foi sont aussi obtus l’un que l’autre.