Les écoles libres en quête d'un nouveau souffle

La Libre Belgique, 04/02/2002

Propos recueillis par Pascal André

« L'enseignement catholique conserve une identité sociale et professionnelle extrêmement forte. Dans ce sens, il n'y a aucune raison qu'il disparaisse. »

Invité à titre d'expert et d'observateur extérieur, Marcel Gauchet participera à tous les travaux de réflexion organisés par le SeGEC (Secrétariat Général de l'Enseignement Catholique belge) avant de livrer son propre regard sur la question. Il a accepté de nous communiquer ses premières impressions.

Qu'est-ce qui vous frappe dans tout ce travail de réflexion qui est mené actuellement au sein de l'enseignement catholique belge?

M.G.: Ce qui me frappe tout d'abord, en tant que Français, c'est l'esprit démocratique de ce processus, son ouverture, mais aussi l'extrême lourdeur qui en résulte. C'est là qu'on voit qu'il y a un prix à payer pour la démocratie participative. Ce qui me frappe également, c'est le véritable glissement de terrain qui affecte en ce moment l'enseignement catholique, mais qui est loin de lui être propre. Il relève, en effet, de l'évolution générale de nos sociétés. Tout est à redéfinir. C'est une situation à la fois angoissante et passionnante. Enfin, je suis frappé par le caractère peu idéologique des débats qui ont cours ici. Vous êtes beaucoup plus pragmatiques que les Français.

Cette lourdeur dont vous parliez à l'instant, ne risque-t-elle pas de se retourner contre les artisans de ce travail de réorientation?

M.G.: Je ne crois pas. Car il n'y a pas vraiment de contestation à l'égard du diagnostic qui est posé. Il y aura bien sûr des résistances par rapport aux propositions concrètes qui seront faites, mais c'est tout à fait normal.

Les craintes de certains sont-elles justifiées? L'enseignement catholique est-il menacé de disparition dans un avenir plus ou moins proche?

M.G.: Si je me base sur ce que j'ai lu et entendu, je dirais plutôt l'inverse. Il me semble en effet que l'enseignement catholique conserve en Belgique une identité sociale et professionnelle extrêmement forte.

En parlant d'identité sociale et professionnelle, pensez-vous également à sa dimension chrétienne?

MG.: Oui. On voit qu'on a affaire à des gens qui ont conscience d'être dans un système d'enseignement très particulier. Ils savent qu'ils doivent réorienter leur manière de faire, mais en même temps, ils ne doutent pas d'eux-mêmes. Ils ne doutent pas qu'il y ait une réponse chrétienne possible. On a affaire à un milieu extrêmement sûr de ses valeurs et de sa mission sociale.

Quel devrait être selon vous la spécificité de l'enseignement chrétien?

M.G.: Une des chances de cet enseignement, c'est sa liberté et sa grande capacité de manoeuvre, y compris au niveau local. Comparé à la France où tout est extrêmement centralisé et rigide, c'est très différent. Dans une situation de changement, il vaut mieux partir de la base que du sommet.

Mais la décentralisation n'a-t-elle pas aussi ses désavantages?

M.G.: Bien sûr. La centralisation et la décentralisation ont toutes deux leurs avantages et leurs inconvénients. Voilà pourquoi il faut trouver un équilibre entre les deux. Mais comment faire? La question se pose autant en Belgique qu'en France, même si les problématiques sont très différentes. En tout cas, il vaut mieux procéder à une recentralisation en partant de la base, que de voir une technocratie éclairée imposer d'en haut les réorientations qu'elle a elle-même décidées.

Avez-vous l'impression que l'enseignement catholique conserve des liens étroits avec l'institution ecclésiale?

M.G.: Je n'ai pas été surpris par ce que j'ai vu et entendu. La situation est la même que partout ailleurs: la hiérarchie est silencieuse, pour ne pas dire absente du débat. Elle semble avoir compris qu'il n'est pas dans son intérêt de renouer avec d'anciennes habitudes en imposant ses vues. D'où cette absence de pesanteur. Y compris chez ceux qui se réclament de la hiérarchie.

Ne pourrait-on pas dire qu'il reste un rapport à l'Eglise, mais que la réalité qui se cache derrière ce mot a fortement changé?

M.G.: En effet, il s'agit davantage aujourd'hui de la communauté des croyants que de la hiérarchie ou du magistère.

Nous assistons pour le moment au développement d'un quasi-marché scolaire. Est-il possible, selon vous, d'aller à l'encontre de cette évolution, dans la mesure où l'ensemble de la société fonctionne selon cette logique marchande?

M.G.: Là, je suis plutôt pessimiste - du moins, à court terme. Dans la mesure où il existe une offre très diversifiée en matière d'établissements scolaires, je ne vois pas très bien comment on pourrait empêcher les parents d'opérer selon une stratégie de choix. Ce qu'il faut comprendre, c'est ce qui est engagé dans ce phénomène et qui ne se ramène pas uniquement à une pression de la logique capitaliste marchande. En effet, c'est l'individualisation qui est à l'origine de cette évolution. Il ne faut donc pas espérer s'en tirer en dénonçant simplement le néolibéralisme et la mondialisation. C'est interne au système éducatif et il faut en comprendre le pourquoi. On ne peut répondre à ce défi que de l'intérieur.