Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, finalistes de l'élection présidentielle française, se sont affrontés le 2 mai pendant plus de 2h30. Ce duel télévisé, multidiffusé, a été suivi massivement par les Français.
Les deux candidats ont montré leurs divergences, notamment sur l'économie, la sécurité et l'éducation. Il n'y avait pas eu de débat d'entre-deux tours depuis 1995. Le duel n'a fait ni gagnant ni perdant, estime le philosophe Marcel Gauchet.
Plusnews.fr : A l’issue de ce débat, pensez-vous que l’un des deux candidats ait marqué des points sur son rival ?
Marcel Gauchet : Nicolas Sarkozy était manifestement plus professionnel, Ségolène Royal plus amateur. Mais ce décalage apparent ne préjuge de rien. C’est comme un match de coupe de France avec d’un côté une excellente équipe pro de première division et de l'autre une petite équipe amateur. La première équipe, parce qu’elle est meilleur techniquement, a toutes les chances de gagner. Mais le public préfère souvent la petite équipe, parce qu’il se retrouve en elle.
Au final, je crois que Nicolas Sarkozy a pu convaincre par sa maîtrise des dossiers, et que Ségolène Royal a pu toucher le public au cœur par sa pugnacité. Mais ce duel déplacera très peu de voix, parce qu’il ne fait que confirmer les options politiques de chacun.
Avez-vous décelé des stratégies spécifiques chez Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ?
M.G. : Ségolène Royal s’est d’emblée situé sur le terrain émotionnel. Elle s’est emparée très vite d’un fait divers récent – le viol d’une femme policier à Bobigny – pour proposer que toutes les femmes fonctionnaires se fasse raccompagner la nuit. C’est une mesure complètement absurde sur le plan technique, mais émotionnellement, c’est très fort.
Elle a ensuite joué la surenchère compassionnelle sur les questions de la petite enfance et du handicap. Sans cesse, elle a utilisé l’«effet-femme», son ultime levier pour déplacer des voix. Elle a parfaitement intégré la puissance des arguments émotionnels dans une campagne présidentielle.
Nicolas Sarkozy, lui, s’adressait clairement à la France profonde, celle qui regarde consciencieusement son duel TV avant d’aller voter. Il s’est adapté à ce public, en se montrant loyal, courtois, responsable et beaucoup plus concret que Ségolène Royal. Il a réussit à se maîtriser, avec un grand calme, d’un bout à l’autre du débat. Après son discours de dimanche, qui a été perçu comme agressif sur mai 68, il avait besoin de rassurer et de rassembler. Ce qu’il a fait avec un grand professionnalisme.
Avez-vous été personnellement satisfait de la qualité du débat ?
M.G. : Non, et je doute que quiconque l’ait trouvé exaltant ! Le duel était standard, interminable et ennuyeux. Il manquait d’imprévus et d’aspérités. Un fait frappant est qu’aucune formule ne restera dans l’Histoire. Ségolène Royal comme Nicolas Sarkozy ont choisi la stratégie du 0-0 : ils craignent les formules qui font mouche, toujours à double détente. Et ils n’ont pas, à l’évidence, les talents oratoires d’un Giscard ou d’un Mitterrand. Ce qu’aucune enquête ne dira, c’est combien de téléspectateurs se sont endormis avant la fin.
Comment expliquez-vous le succès d’audience exceptionnel de ce débat ?
M.G. : La démocratie, qui se veut un régime rationnel, accorde une place immense aux rites symboliques. Le duel de l’entre-deux tours est un rituel pur. Il a pour fonction de mettre en scène un choix démocratique, le choix le plus important dans la Ve République : celui du Président de la République.
En réalité, ce choix est très limité. L’un des candidats l’emportera de quelques points, son pouvoir sera limité par l’opposition et par toute une série d’éléments structurels et conjoncturels. Mais le duel télévisé permet aux citoyens de rêver à une vraie alternative. Pas du 51%-49%. Une vraie victoire éclatante : 1-0.
Propos recueillis par Héloïse Lhérété