Peut-on, de l'extérieur, "prescrire" la démocratie ? Durant les années 1990, après la chute du Mur de Berlin et la désintégration de l’empire soviétique, nous avons vécu une brève euphorie. La vitesse à laquelle la démocratie se propageait alors en Europe centrale, après la chute des dictatures militaires en Amérique latine, semblait signifier que la démocratie correspondait à une aspiration spontanée de tous les peuples de la terre.
Depuis, nous avons pas mal déchanté. L’actualité n’est plus à la contagion démocratique. Le moment démocratique, indiscutablement ouvert par la chute du Mur de Berlin, serait-il en train de se refermer ?
Politologue au CERI et professeur à Science Po., Zaki Laïdi, a organisé autour de cette interrogation un colloque à Paris sur le thème « La fin du moment démocratique ? Un défi pour l’Europe ». Vendredi matin, Il a ouvert la discussion en compagnie de Marcel Gauchet qu'il a sollicité pour répondre à son intervention sur le reflux démocratique dans le monde.
Quoi de plus normal alors que de me rendre dans les locaux du CERI et de vous retranscrire leur échange.
Consulter le programme du colloque (pdf)
Le moment démocratique se trouve aujourd’hui confronté à un certains nombre de limites et contraintes fortes qui ne concernent évidemment pas que l’Europe, mais qui la concerne aussi. Le politologue de pointer alors brillamment les principales entraves à la démocratisation dans le monde tant du côté des exportateurs que des importateurs.
- Tout d’abord, l’échec américain en Irak est celui de « la plus importante tentative d’exportation de ladémocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ». Cette tragédie qui se déroule sous nos yeux pèse désormais d’un poids considérable dans toutes les évaluations politiques de la démocratie et cela tant du point de vue des exportateurs que des importateurs. Laïdi en tire un enseignement fondamental. On voit bien, tant en Irak qu’en Bosnie d’ailleurs, que la démocratie comme projet politique n’est viable que si elle est adossée à un projet nationale. . Il n’y a à peu près aucun contre-exemple historique où la démocratie s’implante sans projet national. Tandis qu’une des leçons essentielle du succès relatif de la démocratisation en Europe centrale et orientale c’est bel et bien que le retour à la démocratie était adossé à un processus de redécouverte de la souveraineté et de reconstruction nationale.
- L’Europe est contrainte d’effectuer des arbitrages entre ses différentes préférences. Face aux menaces terroristes, ces arbitrages aujourd’hui sont de plus en plus forts entre une préférence pour la sécurité, l’ordre et la stabilité politique et la préférence pour la démocratie. Il semble que l’Europe a bel et bien arbitré en faveur de la sécurité au détriment de la contagion de la démocratie.
- Le troisième élément c’est que cette préférence pour la démocratie n’a évidemment pas le même sens pour les autres. Un certain nombre de sociétés politiques ne considèrent pas cet enjeu comme fondamental surtout lorsqu’il apparait de nature à contrarier leur souveraineté politique. Le moment démocratique est ainsi entravé par l’existence de régimes rentiers ( Russie, Algérie,…) disposant de ressources énergétiques importantes qui leur permettent à la fois de se dispenser d’aide extérieure quand celle-ci se veut conditionnelle, ou de rappeler aux exportateurs de démocratie qu’ils sont importateurs nets de produits énergétiques. Tout ce qui se passe dans le pourtour méditerranéen montre avec une immense acuité la contradiction profonde dans laquelle l’Europe se trouve et le décalage immense entre la rhétorique démocratique et les pratiques « prédatrices » (le mot est un peu fort) que l’existence de ressources pétrolières peut l’inciter à mener. Si on ajoute à cela le fait que des grands pays émergents démocratiques, comme par exemple l’Inde, sont férocement opposés à toute idée d’ingérence politique, on se trouve dans un processus de rétrécissement de l’espace géographique de démocratisation qui est significatif.
- Dernier élément, la fatigue démocratique des Européens (dans leur lutte pour la démocratie). Au sein même de l’Europe, on commence à se demander si au fond cette préférence pour la démocratie vaut la peine d’être tentée si la contre-partie est l’adhésion ou l’entrée dans l’Union européenne de pays non désirés. Avec la question de la Turquie, avec la question des nouveaux élargissements et les formidables résistances qu’on a vu apparaître dans un certain nombre de pays dont la France, on se trouve dans une situation où aujourd’hui des pays européens considèrent au fond que cette démocratie n’est pas un enjeu fondamental. On peut imaginer que des Etats européens deviennent des pays démocratiques et n’accèdent pas à l’Union européenne au non du fameux principe de la capacité d’absorption qui est un principe de définition unilatéral de qui entre et de qui n’entre pas.
Pour aller plus loin, je vous invite à lire le texte qui présente le projet de ce colloque:
Zaki Laïdi ( Colloque, 11-12 mai 2007)
A Suivre, le commentaire de Marcel gauchet.