Le philosophe Marcel Gauchet, originaire de la Manche, était l’invité de «La Pensée en question» le jeudi 17 janvier à Alençon. Il évoque ici sa jeunesse normande.
Vous êtes issu d’un milieu modeste : votre père était cantonnier et votre mère couturière. Quelles valeurs, quelle éducation vous ont-ils transmis ?
Marcel Gauchet : Les valeurs traditionnelles de la civilisation villageoise, colorées chez ma mère par le rigorisme catholique, le travail d’abord, la fidélité à la parole donnée, la discrétion, le quant à soi. Avec le recul, je suis pétri d’admiration pour le courage et l’abnégation qui étaient ceux de ces gens, pas seulement mes parents, mais les autres alentour.
L’École normale d’instituteurs à Saint-Lô, une formation de professeur des collèges, est-ce la période où vous forgez vos premières convictions ?
L’École normale d’instituteurs était un milieu humain privilégié par l’ouverture sur la société, le métier, le syndicalisme. C’est là que j’ai découvert cette chose qui n’existait absolument pas dans mon village : la politique. Nous étions à la fin de la guerre d’Algérie. J’ai été jeté dans le bain. Je dois dire que je n’ai guère varié depuis sur quelques convictions fondamentales.
Par exemple ?
La première fois de ma vie que j’ai vu des communistes en chair et en os, dans une réunion syndicale, je suis devenu anticommuniste, tellement j’ai été horrifié par leurs manoeuvres. J’ai compris d’un seul coup ce que voulait dire démocratie. J’avais un sentiment progressiste fort, la révolte de la jeunesse, un tempérament radical, mais en même temps j’ai toujours été retenu par l’allergie à l’autoritarisme militant et le refus d’imposer quoi que ce soit. Je me suis découvert en un mot radicalement démocrate. Je le suis resté…
Ces années-là sont aussi celles de Mai 68. Comment les avez-vous vécues ?
Mai 68, pour moi, c’est la mise en action de la démocratie radicale. Je me suis formé dans la mouvance d’extrême gauche qu’on peut dire « conseilliste », qui cherchait une alternative au communisme stalinien. Et voici que tout d’un coup ce désir de prendre ses affaires en main se répand dans toute la société ! C’était fabuleux ! Tout le monde se sentant le droit de discuter de tout ce qui le concerne, c’était la preuve que nous ne rêvions pas tout éveillés. Je garde de 68 le souvenir d’un moment de rare bonheur collectif où même la violence n’était somme toute pas méchante et joyeuse. L’illusion était bien sûr de croire qu’un moment d’exception peut devenir la règle. Il n’empêche, il a montré qu’on pouvait être bien en société.
Avez-vous gardé des contacts particuliers avec la Normandie ?
Non. J’y ai quelques membres de ma famille, c’est tout. Je vous avoue que je n’ai pas la fibre du patriotisme local.
Propos recueillis par Vincent Cotinat.
Pratique. Marcel Gauchet à « La Pensée en question », jeudi 17 janvier 2008, à 20 h 30, à la halle aux Toiles à Alençon. Renseignements au 02 33 32 40 00. Entrée gratuite.