Actuellement, l’auteur incontournable à propos de l’éducation c’est Hannah Arendt. Est-ce un auteur qui vous inspire ? Est-il toujours d’actualité ou faut-il regarder dans une autre direction ?
Marcel Gauchet : C’est une question à la fois simple et compliquée. Très simple parce que Hannah Arendt est évidemment l’auteur capital pour la démarche qu’elle a initiée, c’est-à-dire de nous avoir montré que l’époque contemporaine introduisait des questions nouvelles qui obligeaient à repenser les questions les plus classiques de la philosophie de l’éducation. De ce point de vue, c’est un auteur essentiel rien que par l’exemple qu’elle donne. Le problème soulevé, c’est que Hannah Arendt, qui constatait l’insuffisance des traditions philosophiques pour l’appréhension des problèmes contemporains, s’est trouvé à son tour très vite elle-même annexée par les contemporains dans le canon des autorités. Elle fonctionne maintenant comme un auteur classique qu’il suffirait d’annoner pour avoir la réponse à tout. C’est là où je crois que la vrai fidélité à l’exemple d’Hannah Arendt consiste à mesurer tout de même les cinquante ans qui nous sépare d’elle et la nouvelle situation qui s’est installée depuis lors. Autant son exemple est essentiel, autant je crois qu’on est obligé de reprendre ce qu’elle a fait à nouveaux frais sur beaucoup de point. Sa situation un peu unique d’auteur qui a accepté de se confronter aux questions actuelles, notamment sur l’éducation, ne doit pas en faire l’autorité mécanique qu’on invoque à tout propos et surtout hors de propos. C’est la terrible question de la philosophie en générale qui est celle de son rapport aux textes canoniques. Comment les traite-ton ? Dans ce domaine de la philosophie de l’éducation, c’est une question particulièrement difficile.