Démocratie et religion, un couple en devenir

CNRS THEMA. Journal en ligne du CNRS

1er trimestre 2005, n°6

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Marcel Gauchet, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales et rédacteur en chef de la revue Le Débat, examine depuis de nombreuses années le lien entre religions et États. Entretien.

Assiste-t-on à un déclin de la religion dans les démocraties européennes et à son regain dans la démocratie américaine ?

Marcel Gauchet En Europe, l'emprise de la religion sur la vie publique ou privée des individus, quelles que soient les confessions, est indiscutablement en recul. Le cas des États-Unis est plus compliqué. Il y a des courants fondamentalistes significatifs qui sont absents en Europe. Et la religion civile aux États-Unis est dans une phase activiste. On voit une confusion de la religion civile avec le nationalisme et la mission religieuse d'établir la démocratie dans le monde. Les Américains n'ont pas découvert le nationalisme avec Bush, mais l'insistance religieuse sur la mission politique est nouvelle. Mais sur le fond, la situation est ambiguë : l'infiltration de la religion civile dans un système de politique profane correspond à une sécularisation en profondeur de la société américaine.

Le fondamentalisme musulman est-il une nouveauté ?

M. G. Dans ses proportions actuelles, oui. Mais il faut différencier le fondamentalisme du traditionalisme, pour lequel l'environnement religieux est encore proche mais en train de disparaître. Le fondamentalisme est une volonté politique de rebâtir un ordre religieux lorsqu'il n'y a plus de traditions. C'est un signe de la profonde « détraditionalisation » du monde musulman. Le choc de la modernité a ébranlé ces sociétés. L'une des autres raisons de la force du mouvement est la proximité historique de l'islam avec le judaïsme et le christianisme. L'islam se voit et se vit au quotidien comme la révélation la plus aboutie, le « sceau de la prophétie ». D'où l'intensité de cette rivalité.

Y a-t-il divorce entre la religion et la démocratie ?

M. G.La démocratie s'est longtemps affrontée à la religion puisqu'elle portait atteinte à son autorité globale sur les phénomènes humains. Aujourd'hui, cette bataille est largement derrière nous. La démocratie fait place aux religions, à leur libre expression.

Comment expliquer que certaines démocraties européennes ont des religions d'État ?

M. G. C'est l'héritage de l'histoire, de l'histoire de la Réforme protestante en particulier, qui a édifié des Églises nationales, en Angleterre, en Suède, au Danemark. Il faut y ajouter le cas des sociétés où l'Église est dépositaire de l'identité nationale : l'orthodoxie en Grèce.

Le modèle de « laïcité à la française » est-il transposable ?

M. G. Le cas français est né d'une confrontation forte, il en porte les marques. Mais une formule plus simple de la séparation des églises et de l'État pourrait faire l'accord de tous.