Trois questions à... Marcel Gauchet, philosophe et historien. Il vient à Rennes, mercredi, sur le thème de la crise de la démocratie. Vrai sujet !
Beaucoup disent que la France n'est plus tout à fait une démocratie. Est-ce votre avis ?
Non. Je trouve ce discours excessif. Il faudrait le discuter pied à pied, sur des points concrets. Mais ce qui est vrai, c'est que la flamme n'y est plus et que de ce fait l'envahissement oligarchique se précise. Les mécanismes fondamentaux de la vie démocratique sont intacts, mais ils tendent à se vider de substance. Nous avons monté, avec la construction européenne, en particulier, une redoutable machine à détourner les peuples de s'intéresser aux décisions qui engagent leur destin, même si l'on juge que c'est pour leur bien.
« Il n'est pas excessif de parler d'une dépression collective » dites-vous. Vous n'y allez pas un peu fort ?
Je ne crois pas. Ce qui complique les choses, c'est que chacun, à titre privé, peut estimer tirer son épingle du jeu et se tenir pour plus ou moins satisfait de son sort. Mais c'est le jugement sur le collectif et son avenir qui compte, en l'occurrence. Or, dans ce domaine, les perspectives sont bouchées, en France, c'est le moins qu'on puisse dire. Cela s'explique, y compris dans les dimensions irrationnelles que cette appréciation peut revêtir, tant les données de l'identité collective sont secouées dans la conjoncture historique actuelle.
Mais la France demeure une grande puissance...
Eh bien, justement non, et c'est une grande partie du problème. La France est une ex- « grande puissance », peu à peu marginalisée par la marche du monde et qui n'est pas parvenue à trouver un emploi à la hauteur de son passé. De Gaulle lui en a donné un temps l'illusion avec sa politique d'indépendance entre les deux blocs. Mitterrand a renouvelé la promesse, avec le rêve d'une Europe - puissance qui serait la France en grand. Plus rien de cela ne tient et c'est de cette absence de perspectives que se nourrit le marasme collectif.
Propos recueillis par Édouard MARET.