Les dilemmes du nouvel individu

Isabelle Chevalier
Compte rendu de la conférence donnée par Marcel Gauchet le 15 mai 2003 dans le cadre du cycle Passerelles de l’Association des Diplômés de Sup'Tg Reims.
« On a de bonnes raisons de penser que nous assistons à la naissance d’un nouvel individu ». Ainsi débute la conférence de Marcel Gauchet qui au travers d’un très brillant exposé, parfois complexe, nous explique les causes de l’émergence d’un nouvel individu, la révolution anthropologique que cela entraîne et les dilemmes auxquels nous sommes désormais confrontés.

Le changement dans le statut de l’individualité se traduit notamment par une nouvelle façon d’être en société. Ce que Marcel Gauchet a observé de près est ce qu’il appelle « le nœud » entre l’individuel et le collectif . Individu de droit depuis le 17ième siècle, l’individualité s’est en fait développée avec la révolution industrielle pour s’accélérer de manière très significative après 1970 sous l’effet de trois phénomènes conjugués :

- La « détraditionnalisation » de la société

- La libéralisation du monde économique

- Le « libertarisme » social

Plus qu’une évolution, Marcel Gauchet parle de discontinuité dans l’évolution de l’individu ;il ne s’agit pas d’une transformation mais bien d’un nouvel individu fondé sur le retour et la consécration des droits de l’homme et donc de l’individu.

Cette discontinuité entraîne une révolution anthropologique en cela qu’elle déleste les individus du lien avec la société. Nos sociétés occidentales ont inventé un nouveau mode de cohésion au travers une activité réfléchie et volontaire des individus. Nous sommes dans un espace de coexistence sans que nous ayons eu besoin de produire cet espace. Nous sommes en présence de deux sphères disjointes : la sphère des rapports individuels libérée de l’obligation de créer du lien social et un lieu de coexistence sociale objectivée.

L’exemple de la famille vient illustrer ce propos. Avant lieu stratégique entre reproduction et appropriation sociale, aujourd’hui la famille n’a plus d’enjeu de constitution de la société, elle n’a plus comme mission de construire un individu pour la société ; elle est devenue une sphère entièrement privée. Cette révolution se caractérise par l’expression de soi, par un nouveau rapport des individus au collectif. Bref, par l’émancipation des individus vis à vis de la société avec comme corollaire la disparition des sentiments de honte et de culpabilité.

L’émergence de ce nouvel individu se heurte néanmoins à un grand nombre de dilemmes :

Le premier dilemme de fond de l’individu contemporain est dans la contradiction suivante :

Fondé à exister pour lui même, il n’existe néanmoins que par la liberté que la société lui concède. L’individu est en permanence divisé entre indépendance et dépendance. Marcel Gauchet illustre son propos par l’éducation en citant « l’injonction paradoxale de l’éducation d’aujourd’hui» : « sois autonome ! » qui conduit dans de très nombreux cas à de l’incertitude identitaire.

Notre défi aujourd’hui est de réconcilier l’individu et la société. Cela suppose un degré de conscience supplémentaire. Autrement dit acquérir en raison ce que l’individu ne peut plus – ou ne veut plus – acquérir par l’éducation. Il s’agit pour Marcel Gauchet d’un nouveau « combat des lumières ». On sortira de ce processus avec du temps – mais un temps historique et non le temps d’une vie – par une auto éducation de la société et de l’individu.