Le savoir est devenu facultatif

La Provence, 3 décembre 2008

Dans votre dernier ouvrage, vous expliquez que le savoir scolaire a perdu de sa légitimité. De quelle manière?

Marcel Gauchet- Avant, il s’imposait avec une sorte d’évidence comme quelque chose qu’il était indispensable de posséder pour exister dignement dans sa vie sociale. Il n’a plus cette autorité-là. Tout le monde s’accorde bien volontiers sur son utilité. Mais en quelque sorte, il est devenu facultatif.

Comment expliquez-vous cet affaiblissement ?

La première explication, c’est l’effritement de l’idéal humaniste de la renaissance. Globalement, il fallait être cultivé pour être un homme de plein exercice. Aujourd’hui, l’idée d’humanité s’est dissociée de l’idée de connaissance. C’est lié à des changements très profonds qui ont à voir avec l’individualisation. On ne devient plus individu à travers de la connaissance, mais on l’est en naissance. Le savoir n’a plus du tout le même enjeu. Il y a un deuxième changement qui tient à l’état des techniques.

À ce sujet, vous pointez le rôle d’internet dans la perte de légitimité de l’école.

En tant qu’instrument technique, Internet est un outil fantastique. Mais à travers lui, se joue une évolution de l’image de la connaissance qui porte beaucoup plus loin. Ce qu’on pourrait appeler une extériorisation du savoir. Il est déposé dans des banques de données, et il suffit de se brancher sur des sources disponibles. C’est pas la peine de se farcir la tête de choses pour lesquelles il suffit d’avoir la clé d’accès. En ce sens-là, Internet donne à ses utilisateurs l’idée qu’ils peuvent tout savoir sans rien savoir.

Avec l’autre danger que ce savoir que l’on nous offre clé en main est ouvert à toutes les manipulations…

Bien sûr ! La réalité est à l’inverse de ce mythe. Plus que jamais, quand on a un outil comme celui-là, qui est l’objet de toutes les manipulations, il faut avoir un instrument critique par devers soi extrêmement efficace.

L’enseignant pourrait servir de filtre…

Malheureusement, l’enseignant tend à devenir une espèce de facilitateur marginal. Un animateur, et non plus le truchement indispensable par lequel il faut passer. Sont rôle s’est affaissé. Car il est laissé à l’abandon.

Vous vous êtes élevé contre la suppression de l’école le samedi matin.

Je pense que c’est une mesure démagogique, qu’aucune famille n’a eu la décence de demander. À travers ça, on dit que ce n’est pas important, l’école, par rapport à la vie familiale… On met le privé au-dessus du public.

Rêvez-vous encore à un type d’éducation?

Je ne fais pas partie des gens qui pensent que les carottes sont cuites. L’histoire avance et crée des problèmes auxquels on n’avait pas pensé. Mais à mon avis, ils sont solubles. Moi, je rêve d’une école qui serait faîte à l’intérieur d’une société qui serait derrière les enseignants pour leur donner un mandat clair sur ce qu’elle attend d’eux. d’une école qui serait faîte à l’intérieur d’une société qui serait derrière les enseignants pour leur donner un mandat clair sur ce qu’elle attend d’eux.
Propos recueillis par Laurent d’Ancona