par Alain Caillé, sociologue et directeur de la Revue du Mauss et Marcel Gauchet, historien et rédacteur en chef de la revue Le Débat
par Alain Caillé, sociologue et directeur de la Revue du Mauss et Marcel Gauchet, historien et rédacteur en chef de la revue Le Débat
Le débat aura lieu entre Luuk van Middelaar, l’auteur, Marcel Gauchet, rédacteur en chef de la revue Le Débat aux éditions Gallimard, Jean-Louis Bourlanges, ancien député européen, professeur associé à Science po et Dominique Reynié. Le débat sera modéré par Christophe de Voogd, responsable du blog « trop libre ».
Cette discussion aura lieu le mercredi 18 janvier 2012 à 18h30. En raison d’un nombre très limité de places l’inscription est obligatoire.
Inscriptions et renseignements au 01.47.53.67.10 ou natasha.caillot@fondapol.org.
La discussion sera retransmise en direct sur fondapol.org.
Lundi 9 janvier s’est tenu un « Rendez-vous de crise » organisé par les cercles de formation de l’EHESS intitulé « Mais que fait l’école ? ».
Où va l’université ? Elle ne le sait pas elle-même, répond en substance Marcel Gauchet.
Historien, philosophe, rédacteur en chef de la revue Le Débat, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, il ne s’inscrit surtout pas dans la lignée des intellectuels de salon se lovant dans un confort conceptuel bardé de certitudes. Les concepts sont pour lui des outils destinés à triturer les mécanismes à l’apparence trop bien huilée pour mettre en lumière les dysfonctionnements cachés de la machinerie, les intentions non avouées de certaines réformes comme… la réforme des universités, la fameuse LRU. Dont il ne s’est pas privé de dire tout le mal qu’il en pensait, lui qui place l’enjeu éducatif au coeur de la société, lors d’une conférence donnée jeudi à Nancy, à l’invitation de l’Isam-IAE.
Un intervenant qui peut paraître iconoclaste au sein d’une école de gestion qui avait pris soin d’étendre les invitations à l’ensemble de Nancy 2. Mais justement parce que les sciences de gestion ne veulent pas être réduites à la caricature du cost-killer costume trois-pièces, et qu’elles s’inscrivent de surcroît dans un cursus universitaire, Marcel Gauchet a fait un tabac devant un parterre de 250 auditeurs, profs et étudiants.
DEUX EXIGENCES
« Peut-être fallait-il une réforme, les ambitions étaient aussi peut-être bonnes et en tout cas largement insuffisantes, la méthode a été très mauvaise, un calendrier précipité, une philosophie sous-jacente qui consiste à faire sans le dire, la LRU, c’est en fait un cadre à l’intérieur duquel émergent les universités du haut du tableau, principalement scientifiques, pour les faire sortir du pot commun, des regroupements ont été conduits dans des conditions opaques », analyse Marcel Gauchet, qui a rejoint le collectif « Refonder l’université ».
Si le chercheur ne conteste pas que « l’université, productrice de connaissances est confrontée à un marché mondial », cette contrainte n’empêche nullement à ses yeux de réfléchir à « ce que veut l’université ». Marcel Gauchet s’intéresse à « cette tension entre deux phénomènes que sont la massification, qui répond à une demande sociale, et l’excellence, les deux forment un arc électrique qui exige qu’on y prête attention, ça ne marche pas tout seul. Il faut à la fois une prise de conscience collective de ce qu’on veut et la nécessité de répondre à ces deux exigences ».
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Rien de pareil dans notre contexte. Nous vivons le crépuscule ou l’éclipse de l’idée de révolution. Nous sommes dans le moment de clôture d’un grand cycle historique - qui se confond en gros avec le vingtième siècle - où ce dessein révolutionnaire, qui a été organisateur du champ politique sur le plan idéologique, est en repli. L’offre idéologique par rapport à la crise que nous vivons est a peu près nulle. En fait, elle se résume à des succédanés d’idéologies du passé dont les adeptes eux-mêmes mesurent bien le caractère peu adéquat à la situation, et qu’ils brandissent plutôt comme des symboles que comme des doctrines opératoires.
Là, il faut rappeler une chose qui, dans l’espace public français, n’est apparemment pas toujours bien comprise : la protestation n’est pas la révolution. Je crois qu’il y a une importante différence parce que précisément, pour que la protestation passe à la révolution, il faut que derrière la protestation il y ait une offre idéologique qui lui donne à la fois l’intensité mobilisatrice sur le plan affectif et un progrès global plus ou moins crédible à une échelle de masse. Nous ne sommes absolument pas dans cette situation. Je crois que rien ne le traduit mieux d’une certaine façon que le recours à l’arme symbolique du suicide au travail pour exprimer un refus social. Là, on est aux antipodes absolus de ce qu’est l’espérance révolutionnaire : la désespérance individuelle transportée dans l’espace public.
J’ajouterais un point à ce propos. Un autre effet mériterait l’exploration. Je n’ai aucune compétence pour le faire mais je le mets dans le programme d’un travail qui me paraît très important : l’effet retraite. En quoi une crise financière peut-elle profondément inquiéter les populations et provoquer une sorte de solidarisation avec les pouvoirs en place ? Tout simplement, au regard de ce qu’est devenue la retraite dans l’imaginaire social de nos sociétés du point de vue des attentes individuelles : le moment qui couronne l’existence sous le signe de la liberté. On comprend alors sans peine, en considérant cette importance des retraites, le souci des populations qu’il y ait toujours quelque chose dans la caisse pour le moment où ils auront à bénéficier de leurs prestations ou pour qu’ils continuent à en bénéficier quand ils en bénéficient déjà. Le dispositif de l’Etat providence, peut-être plus largement même que la retraite au sens strict, est un facteur de légitimisme des opinions qui me semble pas avoir été suffisamment souligné jusqu’à présent.
2) scepticisme à l’égard de l’offre politique et repli massif sur les valeurs du privé. Là, on peut observer cette évolution vers la valorisation du domaine privé, qui s’effectue même de manière acritique vis-à-vis des valeurs publiques mais qui les désaffecte de l’intérieur.
Nous sommes à l’opposé aujourd’hui : la crise met en évidence le déficit d’alternative et de perspectives crédibles de la part de la gauche. Le porte-à-faux vis-à-vis de la situation de nos sociétés s’accentue. On peut évidemment objecter à cette perspective le succès ou le relatif réinvestissement d’une gauche radicale - je ne dirais pas une gauche révolutionnaire mais une gauche de principe. En effet, c’est un des effets très probable de cette crise : une gauche pour laquelle on vote non pas parce qu’on croit aux perspectives qu’elle trace - dont d’ailleurs très souvent les dirigeants eux-mêmes ne croient pas au caractère praticable- mais parce qu’elle a une dimension symbolique de protestation. Un gauche qui, dès lors, n’est jamais suffisamment marquée comme protestation et qui favorise des options radicales, sans illusion sur le résultat qui peut en découler. Ceci ne fait en retour qu’accentuer la difficulté d’être de la gauche de gouvernement dont les efforts pour se rendre en quelque sorte crédible sur le plan du praticable politique achève de la disqualifier au regard de son électorat naturel. Elle est dans une situation très difficile.
Bien sûr que l’éducation humaine n’est pas le dressage animal. Bien sûr qu’il y a eu des abus d’autoritarisme stupide. Mais une fois qu’on a dit cela, on n’a vu qu’un aspect du problème, par un tout petit bout de la lorgnette. Un peu de réflexion éloigne de l’obéissance, mais beaucoup de réflexion y ramène !
Il faut en effet rappeler ce principe essentiel : nous vivons dans des sociétés démocratiques, où l’obéissance joue un rôle fondamental. « L’obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté », écrivait Rousseau dans Le Contrat social. L’un des principes fondamentaux de la démocratie est que chacun accepte d'obéir aux lois qu'on s'est collectivement fixées.
L’âme de cette relation particulière adultes-enfants, c'est la confiance. Et il faut dire que dans la majorité des cas, les enfants font confiance aux adultes. Parfois même de manière déraisonnable - et il faut les en protéger, là aussi. Ce n'est donc pas simple. Mais c'est ce principe qui doit nous guider, comme dans la vie sociale en général. La confiance est l'élément positif, le moteur de l'éducation. Avant même de comprendre pourquoi on lui demande de faire ou de ne pas faire telle ou telle chose, en faisant confiance à l'adulte, l'enfant se pénètre de l'idée que l'adulte fait quelque chose qui a un sens pour lui. Et dans la grande majorité des cas, les enfants se soumettent volontiers, car ils sentent très bien, très profondément, que leurs parents les aiment et les protègent.